Pourquoi la gouvernance de la France est soumise aux dérapages
Dérapages. Lapsus. Improvisations. Détournement de la démocratie parlementaire. Toutes ces expressions résument la communication mais aussi "l'art" de gouverner de Nicolas Sarkozy. Les Français s'en émeuvent ou en rient et les journalistes se frottent les mains. Que n'a-t-on dit, pourtant, sur l'habileté supposée d'un Sarkozy bon communicant! Mon propos ici est de faire sentir que ce pouvoir hyper incarné ne peut qu'engendrer confusions et déséquilibres. Laissons de côté les contingences (Un Sarkozy qui injurie, qui laisse parler ses nerfs, qui ne contrôle pas ses affects, car la gamme des dérapages est étonnamment étendue du "casse-toi pauvre con" au "coupable" envoyé à Villepin). Essayons d'étudier les raisons de cette étrange visibilité de gouvernance, atypique dans la France de la Ve République. Notons tout de même qu'en Italie, Berlusconi connaît les mêmes errances et on ne soulignera jamais assez combien Sarkozy ressemble psychologiquement au président du conseil italien. Les raisons de ces dérapages constants, donc. J'en isole 3.
1 - Sarkozy veut vivre son action sur une temporalité médiatique. J'agis donc je parle est son crédo. Cependant, les citoyens attentifs ont parfaitement compris l'imposture de ce système. Ils savent que le président parle pour convaincre et ils ont remarqué qu'il parle rarement a posteriori (pour expliciter) mais qu'il assène ses vérités a priori (pour être cité). La France semble avoir à sa tête quelqu'un qui croit à cet enfantillage du plaideur : je parle donc j'agis. Un renversement qui alimente les média et qui fragilise de manière catastrophique les messages. Et comme le temps médiatique est un temps de la rapidité, de l'absence de vérification, de l'éphémère, du buzz, il résume à lui seul le piège tendu au président. Pour exister, il doit communiquer, pour communiquer il doit convaincre, pour convaincre il doit parler avec les mots du peuple (qui sont aussi les siens, mais ne désespérons pas, Sarkozy lit Proust désormais!), et dans le feu de cette parole-action (et non de cette action-parole), il dérape.
2 - Sarkozy se veut le chef d'entreprise de la maison France. On dit qu'il applique des recettes de manager. Mais un manager fébrile, investi d'une mission trop imposante pour ses épaules. Car ce qui frappe l'observateur de cette gouvernance c'est qu'elle n'est pas pensée, hiérarchisée, planifiée. Tout réformer en même temps est le mot d'ordre. Je mettrais ma main au feu que Guéant et Sarkozy jouent à la réforme comme s'il s'agissait de "bon coups" stratégiques dont le menu varie à l'occasion. Revenons cependant à la temporalité qu'une telle posture suppose. Tout réformer en même temps, cela veut dire qu'il faut tout refaire et vite, qu'il n'existe qu'un seul temps, le présent, pour "agir" (le sarkozysme déteste l'histoire). Paradoxalement, cet entreprenariat volontariste n'a pas le sens de l'urgence puisqu'il n'a pas le sens de l'importance des mémoires. Un bon chef d'état, dit-on à Sciences-Po, est un homme qui fait du neuf avec l'histoire de son peuple. On perçoit alors le second piège linguistique qui se referme sur la communication hasardeuse de ce gouvernement : Sarkozy fonce pour réformer, et comme il réforme pour réformer, il assoit son discours simplificateur sur une immédiateté dont il voit, lui et lui seul, le profit. Or le langage est un instrument d'inscription dans l'histoire. En ignorant cela, en montrant que pour lui la parole échappe à ce que depuis Descartes on appelle la puissance de l'imagination, il dérape.
3 - Sarkozy se veut seul au pouvoir. L'hyper-présidence ne délègue pas. Mieux l'hyper-présidence institue le rythme à défaut d'approfondir une réflexion sur le bien commun. Les ministres se doivent d'être des clones d'un chef au fonctionnement provocateur et débridé. Certains y arrivent. Pas tous. Or le populisme sarkozien impulse une notion casse-gueule en politique : le parler vrai. Le dogme hilarant du parler vrai crispe la pauvre Christine Lagarde, on le sait, alors qu'il peut enchanter quelqu'un comme Nadine Morano. Lagarde, de ce fait, est plus intéressante que Morano, parce que ses gaffes à elle sont le signe d'une allégeance comportementale mal ficelée. Rappelons au passage que dans l'entourage de Nicolas Sarkozy nous ne relevons le nom d'aucun économiste patenté. Curieux en période de crise économique, non? La solitude du pouvoir, l'absence d'expertise non stratégique, l'obligation pour les "collaborateurs" d'être des bateleurs de seconde main, expliquent la cacophonie. Sarkozy aime tester l'opinion, il aime l'empoignade, il aime avoir le dernier mot. Dans cet exercice narcissique du pouvoir, parce qu'il ne fait pas confiance dans la parole de l'autre, parce qu'il veut tout contrôler mais aussi parce qu'il prétend qu'il sait parler vrai, il dérape.
Je viens de dire une connerie pour cacher ta connerie, ça te va?
Avide d'une petite conclusion? Hors gouvernement, l'ex député UMP Frédéric Lefebvre, à lui tout seul, est une sorte de symbole de la communication ratée du sarkozysme: approximations constantes, phrases malheureuses, conneries vaniteuses, mièvreries de courtisan, vide intellectuel. Sa dernière sortie pour défendre la bévue présidentielle concernant les "coupables" de Clearstream : "Les coupables sont toujours parmi les prévenus". Le moindre acquitté d'une cour de justice française doit apprécier! Au fait, comme naguère le fut Sarkozy, Lefebvre pourrait redevenir... avocat. Au secours!