Le cas Ségolène Royal
Ségolène Royal se montre un cas à part dans le paysage politique de la Ve République. Sa trajectoire est atypique et son comportement souvent incompréhensible parce qu'elle illustre une démarche peu commune. Son engagement, apparemment apprécié dans la Région qu'elle préside (rigueur budgétaire, positionnements clairs et justifiés, innovations, stimulation intellectuelle des forces vives) est souvent brouillon et scandaleux sur le plan national. Elle donne d'elle même une caricature faite de force et de naïveté qui la fait passer pour une provocatrice ou, pire, pour une fanatique déjantée. Elle étonne, elle irrite, elle détonne. Elle est sans doute la personnalité la plus politiquement incorrecte du paysage présidentiable actuel. En cela, je suis d'accord avec Vincent Peillon qui déclare, en colère, après le clash de Dijon : «Ségolène Royal ne pourra pas nous faire gagner en 2012. Elle s'est disqualifiée».
Au moment où les médias nous apprennent que Royal, réactive, écarte Vincent Peillon, grand homme de talent, de son courant, il convient peut-être de tracer un bilan de l'action politique et des particularités psycho-idéologiques de Ségolène Royal.
1) Royal est une femme d'ordre qui aime le désordre. Au nom des valeurs qu'elle défend, elle ose troubler la donne pour fonder un discours fait de paradoxes. Par exemple, sur l'identité nationale, elle prône une sorte d'infaillibilité des transmissions tout en permettant que toute initiative iconoclaste puisse se loger dans le grand vivre ensemble qu'elle idéalise sous le nom de "fraternité". Elle semble de jamais transiger sur la notion de bien collectif pour faire triompher la cohésion sociale. Elle a sans doute appris de Mitterrand que la complexité gagne à être le moteur de l'action politique, elle a sans doute aussi perçu que la longévité incompréhensible d'un François Hollande à la tête du grand parti de la gauche s'expliquait par un immobilisme structurel et langagier. Elle a acquis de l'un l'envie de fasciner, elle a acquis de l'autre, a contrario, le désir d'être en mouvement et de créer sa propre langue de communication.
2) Royal est une instinctive qui joue de ses insuffisances. Certes
elle est énarque, certes elle eut une expérience gouvernementale, mais
elle n'offre pas un CV éblouissant. La France, pourtant assez avide de panache,
lui a permis d'être la seule femme présente à un second tour d'élection
présidentielle de toute l'histoire de notre démocratie élective. En
cela, elle est déjà entrée dans l'Histoire. A cette occasion, elle a
entretenu un rapport immédiat avec un peuple de gauche populaire, ce que jamais n'avait pu réussir à faire un Delors, un Jospin, un Strauss-Kahn. Royal, actuellement, semble vivre les dernières heures de ce lien fort avec le peuple. Elle se bat mais tout cela s'effrite...
3) Royal est l'archétype des innovateurs précoces. Elle capte avec force les besoins d'une société cloisonnée et avide de participation. Sa vision d'une démocratie directe, des débats participatifs, s'est imposée dans les structures locales avec une étonnante évidence. Malgré le centralisme de cour du pouvoir sarkozyste actuel, elle a permis que s'impose partout une autre voie qui, largement exploitée, peut faire penser que gouverner est affaire d'écoute et de décision ferme plutôt que de calculs fondés sur de vagues opinions sondées.
Somme toute, ces trois traits de caractère expliquent l'irritation qu'on peut avoir face à cette femme imprévisible et narcissique. J'imagine que l'on peut souhaiter pour 2012 qu'une personnalité socialiste conduise la contradiction face à un Sarkozy tout aussi imprévisible et narcissique que l'est Royal (il aura également avec lui d'avoir conduit la France dans une terrible voie sans issue), un socialiste moins enfermé dans les contradictions d'une nature complexe et avide d'avoir raison.
Dois-je te dire merci, Ségolène?
Et si, dans la guerre Peillon - Royal qui s'amorce sous nos yeux, Vincent Peillon, philosophe de formation, arrivait à acquérir la sagesse retrouvée d'un PS enfin incarné?